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11 août 2011 4 11 /08 /août /2011 14:00

 

 

Le tsunami kenyan

 

Grand pays d’Afrique orientale, terre d’origine de l’humanité, mais aujourd’hui empreinte d’une extrême pauvreté, le Kenya est devenu en quatre décennies la nation majeure du fond et du demi-fond mondial, installant à la faveur d’un incroyable renouvellement des générations d’athlètes une domination progressivement devenue hégémonique sur les longues distances.

 

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Alors que les derniers Jeux Olympiques ont vu les coureurs kenyans remporter près de 40% des médailles des disciplines d’endurance (800m, 1 500m, 5 000m, 10 000m, 3 000m steeple et marathon) et que deux records de ces distances sont détenus par des natifs (Wilson Kipketer, expatrié danois, sur 800m, Saif Saaeed Shaheen, qatari depuis 2003, sur 3 000m steeple), les marathons internationaux et Championnats du monde de disciplines non olympiques comme le cross-country sont devenues de véritables chasses gardées, révélées par des statistiques impressionnantes: 15 des 16 dernières éditions du marathon de Boston ont été remportées chez les hommes par des athlètes kenyans, les cinq dernières de celui de Londres ainsi que six des dix dernières éditions new-yorkaises. La domination est encore plus forte en cross où 21 des 23 derniers titres de champion du monde leurs sont revenus, l’Ethiopie parvenant seule par l’intermédiaire de Benenisa Bekele à contester en 2004 et 2005 une suprématie appuyée par une profusion d’athlètes qui favorise les courses d’équipe.

 

 

Et si les voisins des hauts plateaux ne sont pas aussi nombreux, ils sont les seuls à pouvoir rivaliser sur fond et demi-fond avec le Kenya.

 

Des montagnes, des lions et des hommes

 Avec ses grandes étendues sauvages du parc naturel du Masaï Mara, l’originelle vallée du Rift, le fier pastoralisme des guerriers Masaïs, et désormais ces infatigables hommes qui déferlent sur toutes les compétitions mondiales et même locales, le Kenya, vingt deuxième pays d’Afrique par sa superficie, pourrait presque être considéré comme symbolique de tout un continent.

Carrefour historique de l’Afrique «découvert» par Vasco de Gama en 1498, le Kenya a su conserver une situation politique intérieure relativement stable après des siècles de domination portugaise puis britannique, et une indépendance acquise en 1963 suite au mouvement de rébellion Mau-Mau. Si cette démocratie multipartite permit une continuité dans les modèles de développement de l’athlétisme, la situation économique désastreuse exacerba les tensions communautaristes pour provoquer, à l’occasion d’élections présidentielles contestées en décembre 2007, les premiers troubles sanglants dans le pays et, 1 500 morts et 300 000 déplacés plus tard, la création d’un gouvernement de coalition.

Car le Kenya comme tous les pays africain fait cohabiter dans ses frontières issues de la colonisation de très nombreux groupes ethniques, et il est important de noter que celui des Kalenjins, un groupe nilotique (comme les Masaïs) issu des hauts plateaux de la vallée du Rift et représentant seulement 8% de la population, fournit depuis les années 60 l’écrasante majorité des athlètes du pays, un phénomène qui ne manque pas d’interroger les curieux du monde entier.

 

Du tremblement de terre...

 Le monde change rapidement dans les années soixante, et quatre ans après que l’éthiopien Abebe Bikila eut fait entrer l’Afrique sub-saharienne dans l’ère olympique grâce à sa victoire, pieds nus, au marathon de Rome, Wilson Kiprugut inaugure juste après l’indépendance le tableau kenyan en ramenant de Tokyo (1964) le bronze sur 800 mètres. Médaillé d’or du 400 et du 800m des premiers Jeux Panafricains de 65, à Brazzaville, il se présente comme le favori des Jeux de Mexico mais, trop ambitieux tactiquement, se fait passer sur la ligne après avoir emmené toute la course par l’australien Ralph Doubell, à qui il a finalement servi de lièvre pour égaler le record du Monde (1’44’’3).

Mais ces Jeux de 68 sont malgré tout ceux de l’explosion de l’athlétisme kenyan au plus haut niveau, par l’intermédiaire de trois grands noms.

Ce sera désormais la règle dans les épreuves internationales, les montagnards africains affichent leur supériorité sur 10 000m et Naftali Temu passe dans les derniers mètres l’éthiopien Mamo Wolde, futur vainqueur du marathon, pour donner à son pays sa première médaille d’or. Il décroche également le bronze sur 5 000m, où son courageux compatriote Kipchoge Keino, recordman du monde de la distance mais alors atteint de calcul biliaires, ne peut rien contre l’attaque dans le dernier virage du tunisien Mohamed Gammoudi. Mais aidé par Benjamin Jipcho, Kip crée une énorme sensation en devançant l’américain Jim Ryun de plus de vingt mètres. Les Kenyans impose une course d’équipe rapide dès le départ et impriment un rythme infernal que les occidentaux auront désormais bien des difficultés à soutenir.

 

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                                              Naftali TEMU

 

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                                              Naftali Temu

 

 

Kip Keino Mex 1968

 

 

    

 

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                         Kip Keino

 

Keino et Temu deviennent immédiatement des modèles pour une nation pleine d’espoir et fière de voir ses représentants sur les plus hautes marches de l’athlétisme mondial. Tout comme le surprenant Amos Biwott qui, complètement inexpérimenté sur 3 000m steeple (trois courses seulement avant les Jeux), étonne en ne posant jamais le pied sur les haies et remporte l’or, son compatriote Benjamin Kogo confirmant avec sa deuxième place la prédisposition des Kenyans pour une épreuve olympique qui désormais ne leur échappera plus.

Huit médailles, dont trois d’or et le bronze sur quatre fois 400, c’est en cette année symbolique une véritable révolution qu’imposent ces athlètes sur demi fond, lançant un mouvement d’émulation et de prise de conscience à travers le pays.

Keino réédite ses exploits à Munich en ramenant l’or sur 3 000m steeple et l’argent sur 1 500m, mais la performance la plus étonnante de ces Jeux vient à nouveau des relayeurs du quatre fois 400 qui s’emparent à la surprise générale de l’or au dépend des Anglais et des Français.

Mais le talent kenyan ne s’illustre pas qu’aux JO et leur formidable réservoir d’athlètes commence à déferler sur toutes les compétitions mondiales. Inscrit à l’Université de Washington, Henry Rono devient l’un des plus marquants en réalisant en 1978 l’exploit unique de battre en trois mois quatre records du monde de distances différentes (10 000, 5 000, 3 000, 3 000m steeple), mettant même huit secondes au record du 10 000, et en remportant deux fois l’or aux All-Africa Games d’Alger. Mais très marqué par le boycott politique des Jeux de 76 et 80 (Montréal et Moscou), Rono fait partie de ces sportifs maudits, ultra dominateurs de leurs disciplines pendant plusieurs années mais n’ayant jamais pu concourir pour la plus prestigieuse des récompenses, et sombre juste après son déclin sportif dans la rue et l’alcoolisme, hantant pendant des années les refuges pour sans-abri de Washington DC. Aujourd’hui entraîneur de l’équipe universitaire d’Albuquerque, au Nouveau Mexique, il parvint heureusement à exorciser ses déceptions dans l’écriture d’une biographie et à utiliser son expérience de la course.

 

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                                        Rono

 

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                                   RONO

 

Mais l’effet négatif de cette absence olympique de douze années (de 72 à 84) avait brisé la dynamique collective du groupe, qui ne récolte que deux médailles à Los Angeles, assurant malgré tout par l’intermédiaire de Julius Korir la continuité sur 3 000m steeple.

... à la déferlante

 Après une mainmise totale sur les courses de moyennes et longues distances aux Jeux d’Afrique de 1986, et d’éclatants Championnats du monde en 1987 (victoires de Billy Konchellah sur 800, Paul Kipkoech sur 10 000, et Douglas Wakihuri sur marathon), les Kenyans assoient leur domination dans ces épreuves pour réaliser aux JO de Séoul leur meilleure performance et écraser les 800 (Paul Ereng), 1 500 (Peter Rono, qui reprend ensuite ses études), 5 000 (John Ngugi, quintuple Champion du Monde de cross-country, qui part seul aux 2 000m et parvient à garder son avance) et, bien sûr, 3 000m steeple (Julius Kariyuki). Les deux médailles d’argent et une de bronze sont là pour témoigner de leur omniprésence et de la possibilité qui leur est dès lors offerte de réaliser des courses d’équipe, tactique qui ajoutée à leurs aptitudes individuelles ne laisse que peu de chances à leurs concurrents.

Premier grand chelem à Barcelone sur leur spécialité du 3 000m steeple (or: Matthew Birir, St Patrick High School d’Iten), William Tanui s’adjugeant également le 800 mètres devant son compatriote Nixon Kiprotich.

Les coureurs kenyans font désormais partie du paysage olympique et accumulent les médailles: huit à Atlanta, dont une seulement en or (Joseph Keter sur 3 000m steeple, devant Moses Kiptanui), mais également la première féminine, avec 32 années de retard sur les hommes, par l’intermédiaire de Pauline Konga, argent sur 5 000m. Dans le même temps, Paul Tergat, seulement second sur 10 000m, domine complètement le cross mondial avec cinq titres consécutifs entre 95 et 99, tandis que les marathons internationaux sont trustés par Moses Tanui, celui dont Gebreselassié avait marché sur la chaussure aux Championnats du monde de 93, Ibrahim Hussein, ou Cosmas Ndeti, tous deux triples vainqueurs à Boston...

Le réservoir est énorme, la motivation garantie par l’appât d’un gain impossible à acquérir au pays, et les générations se succèdent à une vitesse vertigineuse tandis que les records tombent chez les hommes comme chez les femmes.

Encore huit médailles à Sydney (dont deux en or: Noah Ngeny qui surprend Hicham El Guerrouj sur 1 500, et Reuben Kosgei sur 3 000 steeple), mais les performances des juniors, qui remportent sept médailles d’or, annoncent le prolongement de la domination en démontrant l’efficacité du système de formation.

Nouveau hat trick sur le 3 000m steeple d’Athènes avec la victoire d’Ezekiel Kemboi, avant une énorme performance de treize médailles à Pékin, dont les premières médailles d’or féminines (Pamela Jelimo sur 800 et Nancy Jebet Langat sur 1 500) et celle inédite du marathon grâce à Samuel Kamau Wanjiru qui, recordman du monde du semi, améliore le record olympique alors qu’il ne court la distance que pour la troisième fois. Les Kenyans dominent aujourd’hui le fond et le demi-fond mondial et ne sont contestés que par les Ethiopiens (or pour Kenenisa Bekele sur 5 000 et 10 000m à Pékin). Dans le bilan mondial de l’IAAF 2008, la moitié des cinquante premières places sont occupées par des Kenyans (24), dix par des Ethiopiens.

 

 

 

Samuel Kamau Wanjiru
Samuel Kamau Wanjiru
 
Pékin 2008, prmier Kenyan vainqueur du marathon olympique
 

 

 

 

 

Sport Vox 20/01/2009

 

 

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